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29/04/2013

César au temps des colonies

Giulio Cesare, de Georg Friedrich Haendel, en direct du Metropolitan Opera, le samedi 27 avril 2013 au Cinéma Jonquière.

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Un excellent spectacle, où la soprano Natalie Dessay fait une formidable Cléopâtre. Pourtant, elle n'a pas la séduction physique que l'on associe généralement à la grande reine d'Égypte. Elle a un corps de femme d'un certain âge, qui a du vécu, sans les attributs que l'on associe généralement à la séduction, un corps qu'elle dénude pourtant autant que faire se peut pour attirer le regard et le désir de Jules César.

Mais son jeu incomparable transcende son apparence réelle et nous communique le plaisir non seulement de l'entendre chanter, mais de la voir vivre et vibrer sur scène, totalement là, passant du comique au tragique avec un naturel déconcertant. Le fait de pouvoir distinguer en gros plan l'imperfection de ses traits ou de ses formes augmente en réalité, pour le spectateur, le troublant mystère de la création, de l'interprétation qui emporte tout sans trébucher sur les détails.

La dernière fois que j'avais vu Natalie Dessay, dans La Traviata, elle était souffrante, et sa performance, bien que très émouvante, en avait souffert quelque peu. Mais en Cléopâtre, elle est en pleine possession de ses moyens vocaux et dramatiques. Ses arias avec danse sont irrésistibles de grâce et de drôlerie, en particulier son numéro au parapluie façon Chantons sous la pluie. Son chant d'amour à César, Se pietà di me non senti constitue un sommet de beauté et d'intensité.

Il faut dire qu'elle s'intègre à une belle et grande production, qui figure parmi les meilleures du Met que j'ai pu voir. Harry Bicket et David McVicar, respectivement directeur musical et metteur en scène, unissent leurs efforts à ceux des chanteurs pour que les interminables répétitions du baroque ne nous paraissent pas, justement interminables. Dans chacune des dizaines de reprises d'une même phrase, il y a quelque chose de spécial, de différent: intonation, ornementation, expression du visage, attitude, mouvement. Après avoir entendu ces quatre mots: Giusto ciel io moriro chantés une vingtaine de fois par Natalie Dessay-Cléopâtre (dans le Se pietà di me non senti), on en redemanderait presque!

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Par ailleurs, les autres chanteurs sont tous de grande qualité, même si j'ai quelques réserves sur l'interprète de Jules César, le contreténor David Daniels, dont j'avais pourtant beaucoup aimé le Prospero dans The Enchanted Island: il m'a semblé moins maître de ses inflexions et surtout de son volume. Mais quelle prestation que celle de l'autre contreténor, le Français Christophe Dumaux, (on le voit dans la vidéo ci-dessus, mais il ne chante pas...): une voix pure, claire, forte et juste, et un beau talent d'acteur pour jouer le méchant Ptolémée! Patricia Bardon et Alice Coote sont excellentes dans les rôles très dramatiques de Cornelia et de son fils Sesto (Sextus).

Par ailleurs, les chorégraphies sont formidables, et ceux qui les exécutent également.

La scénographie situe l'action au temps des colonies, françaises et anglaises (l'Égypte fut sous la domination de la France, puis de la Grande-Bretagne), avec casques coloniaux, sahariennes, jumelles, revolvers et téléphones, mais sans négliger la touche égyptienne, par les costumes, la gestuelle et l'iconographie associée à l'époque de Cléopâtre, peut-être dans la foulée des superproductions hollywoodiennes. Le style années folles fait aussi une délicieuse incursion dans les danses et les costumes.

C'est donc à regret que j'ai dû partir avant le dernier acte, pour des raisons personnelles. Mais je suis très contente de ce que j'ai vu et entendu.

07/01/2013

Marathon dans un fauteuil:             Les Troyens!

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(Au centre, Bryan Hymel. À sa droite, Deborah Voigt, et Julie Boulianne. Photo: Ken Howard, Metropolitan Opera)

 

Cinq heures et demie assise au Cinéma Jonquière, pour voir Les Troyens, de Berlioz, en direct du Metropolitan Opera: un vrai marathon. Plutôt bon. Et très long, alors soyons concise(!):

Le ténor Marcello Giordani, a renoncé à chanter le rôle du prince Énée après trois représentations... pour mon plus grand bonheur. Je l'ai déjà écrit ici, je n'aime pas beaucoup le style de ce chanteur, pourtant très souvent engagé au Met.

Mon bonheur fut d'autant plus grand que celui qui l'a remplacé, Bryan Hymel, est formidable. À 33 ans seulement, il se montre à la hauteur d'un des rôles les plus difficiles du répertoire pour ténor. Souplesse et justesse, timbre clair, du volume, du souffle, un contrôle quasi parfait de toutes les intonations. Une véritable révélation pour moi et pour tous ceux qui l'ont entendu.

Autre source de plaisir: un opéra français, chanté en français. La plupart des chanteurs ont une bonne diction, et je comprenais leurs paroles (en m'aidant un peu avec les sous-titres anglais...) Merveilleux!

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Il ya en réalité dans Les Troyens deux opéras en un. Le premier, La prise de Troie, avec la ruse des Grecs qui introduisent dans la cité ce cheval géant où se dissimulent des guerriers, les avertissements de Cassandre, le suicide collectif des Troyennes. Le deuxième, Les Troyens à Carthage: un groupe de Troyens ont réussi à s'enfuir et, en route pour Rome, ils font une longue escale à Carthage, où la reine Didon les accueille et file le parfait amour avec Énée.

Cette oeuvre monumentale est rarement montée, car elle requiert des effectifs énormes (décors, choeurs, deux équipes de chanteurs), ce qui coûte très cher.

Hector Berlioz (qui n'a jamais pu voir l'oeuvre au complet jouée sur scène), a écrit non seulement la musique des Troyens mais aussi le très beau livret, inspiré par L'Énéide de Virgile. Sa musique est ample, complexe, riche, variée, vraiment magnifique. La partie instrumentale, particulièrement élaborée, est bien mise en valeur par le maestro Fabio Luisi et l'orchestre du Met.

Outre Bryan Hymel, Susan Graham (photo ci-contre) assume bien le rôle extrêmement les troyens,metropolitan opera,bryan hymel,susan graham,deborah voigt,fabio luisiexigeant de Didon, reine de Carthage. Presque toujours en scène dans la deuxième partie, elle joue bien et son chant est assez beau, malgré quelques signes de fatigue vers la fin (c'est compréhensible!).

Pour une rare fois, tous les rôles secondaires sont bien chantés, en particulier celui d'Anna, soeur de Didon, où on retrouve l'extraordinaire mezzo Karen Cargill, et celui de Narbal, dans lequel excelle la basse coréenne Kwangchul Youn.

Sans oublier Julie Boulianne, notre Dolmissoise devenue presque une habituée du Metropolitan, qui incarne Ascagne, fils d'Énée. Elle a assez peu à chanter, mais elle le fait très bien, et elle est sur scène assez longtemps pour qu'on puisse apprécier son jeu.

En première partie, Deborah Voigt offre une Cassandre plus intéressante dramatiquement que vocalement. Chanter en français n'est pas sa tasse de thé: "ça fait travailler des muscles que je ne connaissais pas", disait-elle avec humour à Joyce DiDonato pendant l'entracte, ajoutant qu'elle allait ensuite retourner à ses chevaux (ceux de Brunehilde, la Walkyrie de Wagner, autrement dit revenir à sa spécialité: le répertoire allemand!)

J'ai bien aimé la brève prestation de David Crawford, dans le rôle du fantôme d'Hector. Dwayne Croft en Chorèbe était correct, mais sans plus. Quant à la comédienne Jacqueline Antaramian, qui jouait le rôle muet d'Andromaque, on aurait dit Irène Papas, c'était hallucinant. 

Mise en scène intéressante de Francesca Zambello, malgré quelques gestes chorégraphiques ou déplacements superflus. Les ballets sont intéressants et leur musique formidable, mais vraiment très longs quand on se met à penser qu'il faudra ensuite un acte complet pour représenter le départ d'Énée, puis le désespoir et le suicide de Didon. En fait, il ne faut pas penser, ni surtout consulter sa montre: simplement s'abandonner au plaisir d'écouter et de regarder.

Encore quelques problèmes de transmission audio: le son, faible quand les interprètes se tenaient côté jardin devenait clair et fort quand ils se déplaçaient vers le côté cour!

Une soixantaine de personnes ont couru ce marathon avec moi: on n'est plus tout jeunes, mais on est encore en forme, et toujours passionnés... d'opéra.

11/12/2012

Verdi, le bal et l'amour

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Dans Un ballo in maschera de Verdi (transmission en direct du Metropolitan Opera samedi au cinéma Jonquière), le roi de Suède Gustave III aime en secret Amelia, la femme de son secrétaire et ami le comte Anckarström. Quand ce dernier l'apprend, il est fâché et jaloux, bien entendu. Les deux amoureux, tout en avouant qu'ils s'aiment, lui assurent cependant qu'il ne s'est rien passé entre eux.

Blessé mortellement par son ami qui s'est joint à un complot pour se venger, le roi jure à ce dernier qu'Amelia est innocente, sans tache, et qu'il était sur le point de les envoyer tous deux à l'étranger, afin d'éloigner de lui la tentation.

En apprenant cela, le comte regrette son geste.

L'innocence, c'est donc de ne pas coucher, et non pas de ne pas aimer. Aimer est pardonnable, coucher ne l'est point.

Logiquement, on pourrait croire qu'aimer une autre personne que son conjoint est la pire offense. Mais nous les humains, ne sommes pas toujours logiques, surtout quand les sentiments et la passion sont en jeu.

Enfin, je n'ai pas de solution ni d'idée tranchée à ce sujet, je me dis simplement que l'amour, le sentiment, semble à nos yeux moins fort que le geste, alors que peut-être il n'en est rien. 

Mais qu'est-ce que l'amour?

J'ai cru le voir quand, avant la projection, la caméra a suivi pendant quelques instants, une dame corpulente aux cheveux blancs qui prenait place dans la salle du Metropolitan Opera: elle portait un cathéter nasal, vous savez, ces tubes de plastique qui fournissent de l'oxygène aux personnes atteintes d'insuffisance respiratoire.

Se déplacer pour aller à l'Opéra, s'asseoir au milieu de la foule, rester là trois ou quatre heures, malgré une condition physique pénible qui s'ajoute à l'inconfort inhérent à ce genre d'activité: ça c'est de l'amour, me suis-je dit. L'amour de l'art, de la musique, de cette oeuvre de Verdi, je ne sais pas. Mais l'amour, tout de même.

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Et l'opéra? me demanderez-vous.

J'avoue que je ne sais pas trop quoi en dire. En tout cas ce n'était pas le grand amour de ma part. Je n'ai pas aimé le ténor Marcelo Alvarez en Gustave III: il force sa voix, qui ne sort pas vraiment. Sondra Radvanovsky (Amelia) chante très bien, mais elle semble n'avoir qu'une seule expression à mettre sur son visage. Le baryton Dmitri Hvorostovsky (le comte) est formidable, vocalement surtout. La meilleure, c'est Kathleen Kim, dans le rôle du page Oscar: voix agile, légèreté, humour.

Sans oublier le maestro Fabio Luisi et l'orchestre, qui ont mis en valeur les magnifiques passages orchestraux. Il y a eu de bons moments, surtout aux deuxième et troisième acte, séparés par des scènes un peu longues et sans grand intérêt.

Mise en scène de David Alden. Scénographie étrange et disparate, signée Paul Steinberg. Un grand tableau représentant la chute d'Icare se déplace au-dessus des têtes et déforme l'espace où évoluent les personnages: mais pourquoi?

verdi,metropolitan opera,un ballo in maschera,sondra radvanovsky,kathleen kimAu fond, chaque scène et chaque artiste avait des qualités, mais on aurait dit des pièces détachées, auxquelles il manquait une vision d'ensemble unifiante.

Verdi (ci-contre) fut obligé de faire modifier le livret (d'Antonio Somma), car la censure napolitaine n'acceptait pas que l'on représente sur scène le meurtre d'un roi. On changea donc le roi pour le gouverneur de la ville de Boston, où toute l'action fut déplacée. Heureusement, comme on le fait la plupart du temps de nos jours, et même si c'est joué aux États-Unis, on a repris le livret original, bien plus intéressant puisque inspiré d'un fait réel: l'assassinat du roi Gustave III par Ankarström lors d'un bal masqué.

04/12/2012

Entre vengance et clémence, le choix de Titus

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Le titre de l'opéra, La Clemenza di Tito, résout l'équation de mon propre titre. L'empereur romain Titus choisit d'être clément, de pardonner à ceux qui l'ont trahi et voulu le faire mourir. Même si les lois et coutumes voudraient qu'il les fasse exécuter.

J'ai bien aimé ce personnage, tout en douceur et en compassion.

De graves problèmes techniques ont cependant affecté la présentation de cet opéra de Mozart.  Il y a eu en réalité dix minutes de bon son, les dix dernières. Nous venions d'endurer trois heures d'une transmission sonore déficiente: son étouffé, grésillements, grondements, silences etc...  C'est un changement de logiciel survenu au Metropolitan Opera qui aurait causé tous ces problèmes, nous expliquait le jeune employé du cinéma Jonquière, fort désolé de cette situation à laquelle il ne pouvait rien.

En général, le premier acte m'a semblé un peu ennuyeux, et le second, absolument merveilleux.

Entre les deux actes, les interviews menées par Susan Graham avec les artistes m'ont permis de mieux apprécier la suite. Le chef Harry Bicket a notamment expliqué pourquoi il aimait la musique de ce dernier opéra composé par un Mozart malade et en grande difficulté financière: pour remplir une commande qui tombait à point, il revint à l'opera seria qu'il avait pratiqué à ses débuts, mais en y mettant toute son expérience, tout le savoir-faire acquis entre-temps, créant ainsi une partition tout à fait exceptionnelle, à la fois dans son oeuvre et dans l'opéra en général.

Je n'avais pas vraiment besoin de ça pour aimer le divin Mozart, remarquez, car sa musique est toujours aussi sublime.

Ne pouvant pas apprécier les performances vocales à leur juste valeur, à cause de ces problèmes de son, je me suis intéressée à autre chose. À leur jeu par exemple. Le personnage central est Sesto, ami de Titus. La perverse Vitallia, dont il est épris, lui ordonne de tuer l'empereur car elle croit que ce dernier lui préfère Bérénice. (Elle se trompe: malgré une grande passion réciproque, Titus vient de renvoyer Bérénice, que nous voyons, dans une scène muette, embarquer sur un navire qui la conduira vers sa Palestine natale).

Je ne sais pas si c'est parce que Sesto est un rôle travesti, joué par la merveilleuse Elina Garanča, mais il ne passe guère de sensualité entre elle et Barbara Frittoli, qui incarne Vitallia.

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J'ai remarqué en revanche le visage très expressif de cette dernière: oeillades, sourires en coin, comme un livre ouvert, ses traits mobiles expriment sa malice, sa perfidie, sa ruse, et plus tard, son repentir. Vêtue d'une époustouflante robe noire (photo ci-dessus), Frittoli assume aussi avec élégance la progression de Vitallia de la perversité vers la douceur, ce qui donne ce très beau Non piu di fiori, chanté avec accompagnement de cor de basset.

Titus est joué par Giuseppe Filianoti, et il y a un autre rôle travesti, celui d'Annio, joué par Kate Lindsay.

Malgré donc une transmission imparfaite, je n'ai pas regretté d'avoir été voir La clémence de Titus. Surtout que l'opéra (livret de  Caterino Mazzolà d'après Metastase et Corneille) commence là où se termine Bérénice, le chef-d'oeuvre de Racine, c'est-à-dire avec le départ de Bérénice. Titus et elle se séparent par devoir, invitus invitam, malgré lui malgré elle:

Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?

 

15/10/2012

L'âme d'un artiste: Matthew Polenzani

À l'entracte, la soprano Debora Voigt demande au ténor Matthew Polenzani, qui joue le rôle de Nemorino dans L'elisir d'amore (opéra du Met présenté samedi au cinéma Jonquière), qu'est-ce qu'il ressent alors qu'il va bientôt chanter Una furtiva lagrima, célébrissime aria interprétée par Pavarotti, Caruso, Domingo et autres grands ténors de ce monde (au bout de ce lien, par Pavarotti, en 1985 à l'émission française Le grand échiquier animée par Jacques Chancel).

En fait répond-il (je traduis librement son anglais):

"je vais penser à cette larme, cette larme qu'elle (Adina) vient de verser et qui me prouve son amour. Je vais exprimer mon émotion et ma joie d'avoir vu couler cette larme".


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(Anna Netrebko et Matthew Polenzani. Photo: Ken Howard, Metropolitan Opera)


Quelle réponse magnifique! Celle d'un véritable artiste. Quand il est sur scène, il ne songe pas à la gloire, à la compétition, à la performance, futilités auxquelles peuvent penser les journalistes qui l'interrogent ou les badauds qui l'écoutent. Il est simplement là,  tout entier là, en train de faire son métier, concentré à être ce personnage d'amoureux bouleversé par cette larme furtive aperçue sur la joue de sa bien-aimée.

D'ailleurs son Una furtiva lagrima était tout à fait sublime. Des instants de pur bonheur pour nous qui l'écoutions dans la salle obscure, et pour ceux qui l'ont ovationné pendant de longues minutes à New York. Il a surmontmetropolitan opera,met,cinéma jonquière,matthew polenzani,anna netrebkoé avec aisance les aigus et les fortissimi, mais c'était encore plus beau quand il chantait pianissimo: nous pouvions entendre sa voix pure et douce et observer, en gros plan sur son visage, l'expression de son sentiment amoureux, extatique sur les dernières syllabes de "si puo morir d'amor".

Voilà la réponse d'un authentique artiste, ai-je pensé, moi qui l'admirais depuis le début de cette belle production du Metropolitan Opera. Pourtant, je l'avais déjà vu dans Don Pasquale (aussi de Donizetti et aussi avec Anna Netrebko), et La Traviata où, je l'avoue, il ne m'avait pas tellement impressionnée. Mais cette fois, j'étais sous le charme (il est très beau en plus...)

La mise en scène de Bartlett Sher, finement nuancée, met l'accent sur le côté romantique de cette oeuvre très légère, plutôt que sur l'aspect rigolade et grosse farce auquel on réduit parfois L'elisir...

Anna Netrebko dans le rôle d'Adina, surmonte sans trop de problèmes les écueils de ce bel canto qui la tire hors de sa zone de confort. Le baryton polonais Mariusz Kwiecien s'acquitte honorablement du rôle unidimensionnel de Belcore, tandis que l'énorme -et excellent chanteur-  Ambrogio Maestri nous fait bien rire avec les boniments du dottore Dulcamara. À noter, le clin d'oeil amusant de ses deux sbires, portant costumes blancs et verres fumés teintés de rose...

 

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(Anna Netrebko, Mariusz Kwiecien. Ambrogio Maestri. Photo: Ken Howard, Metropolitan Opera)


Bons points aussi pour l'impeccable diction (italienne) de tous ces interprètes: tellement précise que je comprenais presque toutes les paroles sans avoir besoin de lire les sous-titres anglais, et pour la direction musicale tout aussi impeccable de maestro Maurizio Benini.

C'était un plaisir de renouer avec l'opéra du Met, en compagnie des fidèles habitués et de quelques nouveaux adeptes. De beaux samedis après-midi en perspective au cinéma Jonquière encore cette saison.

15/04/2012

La Traviata: souffrante... et magnifique!

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La dernière retransmission du Metropolitan Opera samedi au cinéma Jonquière: La Traviata de Verdi, a connu un grand succès: tous les sièges étaient occupés. J'ai aimé la scénographie dépouillée et intemporelle, cette grande horloge qui évoque le temps compté à Violetta, et tous ces tous ces éléments en forme de croissant ou de demi-lune. La mise en scène de Willy Decker est correcte, mais n'évite pas la confusion au sujet des lettres échangées et des motivations de chaque personnage.

Natalie Dessay, qui a bien failli ne pas pouvoir chanter, fait -presque- toute la valeur et la saveur de cette production. La soprano s'est désistée le soir de la première, et il était facile de comprendre pourquoi samedi en l'entendant répondre avec difficulté aux questions de Deborah Voigt à l'entracte, la voix manifestement très affectée par une quasi extinction... et manifestement malheureuse ce cette situation. Malgré cela, malgré quelques difficultés non seulement à atteindre les aigus (elle en a raté quelques-uns), mais simplement par moments à faire sortir le son, elle est éblouissante. Comme comédienne, elle est entièrement là, entièrement Violetta Valéry. Joie, peine, regret, espoir:  tout est dépeint dans les moindres nuances par son jeu, son visage, ses gestes.

Robe rouge, robe blanche (pour elle) sur des fauteuils et divans de cuir aux mêmes couleurs: l'effet est intéressant. Peignoirs fleuris (pour elle et lui) sur meubles recouverts du même tissu fleuri:  trop, c'est trop.

Mais quelles grandes arias: Libiamo, Un di felice, È strano... on sort du premier acte joyeusement imbibé de bel canto. Et à la fin, son Addio del passato, peut-être plus facile vocalement, est totalement émouvant. D'ailleurs toute la finale est parfaitement réussie:  crédible et touchante.

J'écris comme s'il n'y avait qu'elle dans cet opéra. C'est que les partenaires masculins de Mme Dessay ne sont pas tout à fait à la hauteur. Le ténor Matthew Polenzani, qui joue le rôle de son amant Alfredo, possède une belle voix et chante plutôt bien, mais son jeu est uniforme et son visage manque singulièrement d'expression.

Quant au baryton Dmitri Hvorostovsky, malgré sa réputation, son statut de vedette, et son excellence dans d'autres productions, il m'a déçue dans cette production, et je le regrette beaucoup. Malgré ses cheveux blancs, il n'est pas tout à fait crédible dans le rôle du père d'Alfredo. Il chante bien, mais ne semble pas très à l'aise dans ce rôle qu'il a pourtant souvent joué.

Par ailleurs l'orchestre est fort agréable à entendre sous la baguette de Fabio Luisi. Et les choeurs se montrent dynamiques et bien chorégraphiés.

Nous avons eu droit à une présentation vidéo des opéras du Metropolitan qui seront retransmis la saison prochaine: plusieurs oeuvres s'annoncent intéressantes.

Autres points de vue sur La Traviata du Met au cinéma:

Christophe Huss dans Le Devoir

Jack sur son blogue

09/04/2012

Manon: oui et non

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Deux jours apèrs avoir vu Manon, de Julles Massenet, en direct du Metropolitan Opera au Cinéma Jonquière, je suis incapable de dire si j'ai vraiment aimé cette production.

Je connais assez bien l'oeuvre, j'en aime beaucoup la musique, qui fut d'ailleurs très agréable à entendre  sous la baguette du maestro Fabio Luisi. J'ai beaucoup écouté deux de ses arias,  "Je marche sur tous les chemins" (cliquez sur l'image ci-dessus pour entendre un extrait de la 2e partie sur Youtube),  et  surtout "Ah fuyez douce image", un air qui me suit depuis l'adolescence: il correspond à quelque chose en moi et je l'écoute encore dans mon auto, chanté par Richard Verreau.
Mais ce ne sont pas ces deux grands passages que j'ai le plus appréciés dans cette production du Met: ils m'ont semblé corrects, agréables sans plus.

manon,massenet,metropolitan opera,anna netrebko,piotr beczala,laurent pelly,des grieux,manon lescautAnna Netrebko joue assez bien la passion, les sentiments forts, sans cependant entrer totalement dans le personnage de Manon. Et malgré ses nombreuses qualités, elle n'est pas idéale vocalement pour cette musique: beaucoup d'approximations, manque d'agilité, quelques aigus carrément ratés. Son partenaire, le ténor polonais Piotr Beczala (le Chevalier Des Grieux), offre en revanche une technique très sûre, un chant élégant et raffiné. Il manque un peu de volume toutefois et force trop sa voix dans les fortissimi. (Je les ai vus tous deux dans Lucia di Lammermoor en 2009).

La scène finale, où Manon meurt dans les bras de son amant sur la scène presque vide dans une ambiance d'après-guerre, est quant à elle vraiment réussie, dramatiquement et musicalement.

manon,massenet,metropolitan opera,anna netrebko,piotr beczala,laurent pelly,des grieux,manon lescautJ'ai aimé la touche française de l'ensemble. D'abord bien entendu le livret, inspiré à Henri Meilhac et Philippe Gille par le roman de L'Abbé Prévost.

Ensuite l'équipe, Laurent Pelly à la mise en scène et aux costumes, et  Chantal Thomas à la scénographie. Les maisons en trompe-l'oeil à échelle réduite, le décor (dépouillé) en rampes et  escaliers, en lignes obliques et jeux d'échelle. Le contraste entre l'exubérance sensuelle des costumes féminins et la sobriété sévère du décor, auquel répond le contraste entre l'austérité de Saint-Sulpice et la scène torride qui s'y déroule: c'est inventif et dynamique.

Pas évident de mettre en scène cet opéra dont les contours narratifs et la logique psychologique sont flous à plusieurs endroits. Le personnage de Manon est difficile à cerner: naïve jeune fille victime de conventions sociales hypocrites, coquette amorale, bombe sexuelle, écervelée cupide: il faut montrer tout cela, et ce fut bien fait il me semble.

Mais il penche en définitive vers le côté avide (pour le sexe, l'argent, le plaisir) du personnage, ce qui a fort déplu aux critiques new-yorkais. Ils n'ont pas apprécié non plus qu'on installe la chambre de Des Grieux dans l'église, ni, dans ce lieu même, l'entreprise de séduction d'une Manon extrêmement lascive qui commence à déshabiller Des Grieux sous nos yeux. Ils n'ont pas aimé enfin que des messieurs bien mis enlèvent les jeunes ballerines à la fin du ballet. Que voulez-vous, c'est français!

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Plusieurs rôles secondaires intéressants. Le ténor Christophe Mortagne (Guillot de Morfontaine, photo ci-dessus) Français à la diction impeccable, artiste polyvalent (il est aussi magicien) et plus tout jeune, spécialisé dans les rôles comiques, davantage parlés que chantés, offrit avec brio les quelques moments comiques de l'après-midi. Il se montra cependant incapable de répondre aux questions de Deborah Voigt à l'entracte, soit à cause de la langue ou du trac. L'animatrice et un autre chanteur ont dû intervenir pour meubler le silence et compléter ses phrases, c'était un peu pénible.
J'ai bien aimé aussi le baryton David Pittsinger (vedette de la comédie musicale South Pacific, version 2008!), dans le rôle du comte des Grieux (le père du Chevalier) et Bradley Garvin dans celui de Brétigny. Le baryton Paulo Szot qui jouait Lescaut, le cousin de Manon, était un peu fade et moins intéressant.
Bref, j'hésite encore... au sujet de cette Manon, qui m'a fait passer en somme quelques bons moments.

23/01/2012

Le baroque enchanté

Moi qui affirme depuis toujours aimer la musique baroque, j'ai éprouvé quelques doutes quand j'ai assisté en décembre dernier à la projection de Rodelinda de Haendel, présenté au Metropolitan Opera: le contre-ténor avait un filet de voix et je m'y étais un peu ennuyée.

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Est-ce que j'aime vraiment cette musique, m'étais-je demandé? La réponse est un immense oui, conforté par cette autre production du Met que j'ai vue samedi au cinéma Jonquière: The Enchanted Island, un nouvel opéra, un "pastiche baroque". Le livret de Jeremy Sams assemble deux pièces de Shakespeare plus un certain nombre d'éléments originaux, et le texte en anglais (un anglais de grande qualité m'a-t-il semblé à la lecture des sous-titres) est associé à plus de 40 pièces de musique baroque, en grande majorité de Haendel mais aussi de Vivaldi, Rameau, Purcell et quelques autres.

Après quelques moments d'inquiétude dans la salle du cinéma car un problème technique empêchait la transmission (c'était ainsi partout au Québec nous a-t-on dit), ce qui nous a fait manquer la présentation et l'ouverture, nous avons été d'un coup plongés dans ce monde, happés par la beauté, la profondeur et la richesse de cette musique servie par des interprètes de haut niveau.

Enfin un haute-contre, David Daniels, qui chante (le rôle de Prospero) superbement et à plein volume, à qui la soprano Danielle De Niese (Ariel), véritable tourbillon de charme et d'entrain, donne la réplique en multipliant les ornementations avec une extraordinaire aisance, tandis que l'orchestre, dynamique et percutant, dirigé par William Christie (l'un des initiateurs du projet, avec le directeur du Met Peter Gelb), ponctue et accentue chaque passage de façon enlevante.

Tous les interprètes font assaut des plus grandes qualités vocales et dramatiques, que ce soit la magnifique mezzo Joyce DiDonato, en sorcière, ou bien le superbe baryton-basse Luca Pisaroni (tous deux sur la première photo), celui-là même qui jouait Leporello dans le récent Don Giovanni du Met, et qui apparaît ici sous les traits de son fils, le difforme Caliban, mort-vivant aux oripeaux death metal. Ou encore Lisette de Oropesa, excellente dans le rôle de Miranda, et l'autre contre-ténor, le jeune Anthony Roth Constanzo (il a d'ailleurs remplacé David Daniels dans le rôle de Prospero pour quelques représentations de L'Île enchantée), qui nous charme par la beauté de sa voix dans son (seul) grand solo et dans son duo. Chacun des membres du quatuor des naufragés est tout aussi agréable à voir et à entendre.

the enchanted island,metropolitan opera,david daniels,danielle de niese,joyce didonatoL'histoire se passe sur une îleProspero règne en tyran. Une tempête (celle de Shakespeare!) y déverse deux couples en voyage de noces qu'on n'attendait pas. Quelques-uns de ces naufragés, ayant absorbé des potions magiques mal dosées ou qui ne leur étaient pas destinées, forment des couples improbables avec les habitants de l'île, qui eux voudraient bien se libérer du joug de Prospero. C'est une histoire amusante, charmante, étonnante, qui fait place à quelques beaux moments d'intense émotion.

Pour les créateurs, une occasion unique de mettre en lumière des décors fabuleux et fantaisistes (parfois un peu kétaines mais bon): une caverne, une forêt magique, des arbres qui s'illuminent, des animaux fantastiques, la mer, les bateaux, les vagues.

Et la grandiose apparition de Neptune, en direct de l'océan sur son trône en forme de coquillage, entouré de sirènes et autres créatures marines. Ce dieu de la mer est chanté par Placido Domingo, qui fêtait ce jour-là son 71e anniversaire: un peu fatigué mais chantant encore assez bien ce rôle bien fait pour lui. "C'est la première fois que j'interprète un dieu", disait-il à Deborah Voigt à l'entracte.

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Il y a aussi un extraordinaire ballet, pastiche moderne et déjanté du traditionnel ballet d'opéra.

Les puristes hurleront peut-être (d'ailleurs ils ont hurlé dans certains médias new-yorkais), mais pour moi c'est une réussite totale. Tout y est: voix, musique, décors, livret intelligent et inventif (sauf peut-être quelques longueurs, quelques scènes un peu inutiles en deuxième partie): on ne se lasse pas d'écouter et de regarder.

Mais en premier lieu sans doute, il y a cette impression très nette que toute l'équipe, autant les concepteurs que les chanteurs-acteurs, met toute son énergie, travaille dans la même direction et se donne à fond pour faire exister cette merveilleuse fantaisie, dans le seul but de créer un lieu et un espace de plaisir partagé.

Même loin, même au cinéma on sentait bien, grâce à la magie du direct, cette chimie, ce petit plus, cette étincelle qui s'allume quand tout le monde est en phase et totalement engagé, bref, quand le tout est plus grand que la somme des parties.

12/12/2011

Faust et ses grands airs

J'ai été initiée à la musique par les grands airs d'opéra, surtout français, grâce aux 78-tours de mon père que j'ai écoutés en boucle pendant mon enfance et mon adolescence, et que j'écoute encore avec plaisir aujourd'hui.

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Je connaissais donc les grandes arias (et le synopsis) du Faust de Gounod, mais ne l'avais jamais vu sur scène. C'est chose faite: je l'ai vu... au cinéma Jonquière, qui retransmettait la production du Metropolitan Opera. Nouvelle mise en scène de Des McAnuff, qui transpose l'action au 20e siècle (plutôt qu'au 16e), faisant de Faust un émule d'Oppenheimer, un savant qui regrette d'avoir contribué à développer la bombe atomique quand il en constate les effets dévastateurs.

Cela n'apporte pas grand-chose au scénario, créant même au passage quelques incohérences (en retrouvant la jeunesse, Faust souhaite retrouver l'amour plutôt que de contrer les effets de la guerre), anachronismes (par exemple un duel à l'épée) et incongruités (Marguerite tue son enfant sous nos yeux, en le plongeant dans un lavabo...). En revanche, c'est l'occasion d'installer une scénographie moderne et originale, à base d'escaliers et de barreaux de métal, qui crée une atmosphère encore plus délétère que celle commandée par l'opéra.

Impossible en revanche (du moins pas cette fois) de résoudre, pour les auditeurs d'aujourd'hui, surtout les jeunes, le problème central posé par le volet religieux de ce livret, notamment les bondieuseries et la notion de châtiment divin qui plombent la fin de l'opéra.

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Mais comme toujours, je ne m'attarde pas vraiment au décor, aux déplacements, à l'imagerie. Je vais à l'opéra pour la musique. Et j'ai pris un réel plaisir à écouter cette merveilleuse musique de Charles Gounod.

Les grands airs... y étaient. Mais depuis cet automne, le son des retransmissions du Met est plutôt mauvais: impression de son étouffé, inégal selon les déplacements des chanteurs, voix qui ne sortent guère, de sorte que c'est difficile de juger. Mais enfin, chacun y est allé avec une belle force: Jonas Kaufmann fait un Faust fort crédible, au physique séduisant, à la voix veloutée et curieusement sombre pour un ténor. Il joue bien et chante de belle façon le Salut, demeure chaste et pure (on peut l'entendre sur la vidéo -statique- ci-dessous), donnant tout ce qu'il a physiquement et vocalement pour le grand contre-ut final, correctement livré, sans plus. (Mais j'ai été gâtée avec Richard Verreau...)

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Marina Poplavskaya fait une très belle Marguerite, plus émouvante que technicienne. Son célèbre Air des bijoux, dramatique et bien incarné sur la scène, vient nous chercher même si elle ne domine pas complètement le sujet. Le baryton canadien Russell Braun, qui joue Valentin, le frère de Marguerite, est assez intéressant dans son air Avant de quitter ces lieux, même si en l'occurrence le son était particulièrement mauvais, tandis que la mezzo-soprano québécoise Michèle Losier donne toute la fraîcheur attendue au personnage de Siébel (le jeune amoureux de Marguerite) et met en évidence une voix chaude et riche dans l'air Faites-lui mes aveux.

Finalement, j'ai deux étoiles à distribuer. La première à la basse René Pape, qui semble bien s'amuser à jouer Méphistophélès, le diable qui offre à Faust de retrouver sa jeunesse. Aussi bon, sinon meilleur, dramatiquement que vocalement dans ce rôle-fétiche, il mène le bal avec une grâce ironique, et module avec souplesse les variations du personnage, comique au début, plus sombre à la fin. Et de tous, c'est lui qui articule le mieux le français, même si les autres font quand même bonne figure.

Ma deuxième étoile va au maestro québécois Yannick Nézet-Séguin, qui conduit l'orchestre du Met avec assurance, en lui insufflant couleurs et force dramatique, accompagnant avec sensibilité les moindres nuances des voix et des émotions. Il magnifie encore, si la chose est possible, cette partition déjà extraordinaire.

Bien que la partie orchestrale demeure formidable à entendre jusqu'à la toute fin, il est dommage que le livret se désagrège ainsi dans le dernier acte vers des histoires de religion et de damnation qui étirent inutilement une sauce déjà bien longue. Ou c'est le metteur en scène qui n'a pas su traiter ces aspects de façon convaincante. Au moins dans cette version, Marguerite monte un escalier plutôt que d'être transportée au ciel par les anges.

20/11/2011

Don Giovanni: le (toujours aussi) divin Mozart

Don Giovanni, de W. A. Mozart

En direct du Metropolitan Opera, au cinéma Jonquière, le 29 octobre 2011

Mise en scène: Michael Grandage

Interprètes: Mariusz Kwiecien, Luca Pisaroni, Barbara Frittoli, Marina Rebeka, Mojca Erdmann, Ramón Vargas

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Les critiques publiées aux États-Unis ont été assassines pour cette production... mais leurs auteurs n'ont pas vu le même spectacle que moi. Ils ont assisté à la première (ou à la deuxième), tandis que moi j'ai vu une représentation subséquente... que j'ai adorée à tout point de vue.

Partition sublime au départ (du divin Mozart...), excellents -et nombreux- interprètes, ce qui est rare, car il y en a en général un ou une qui détonne, que ce soit au Met ou ailleurs. Le baryton polonais Mariusz Kwiecien (photo ci-dessus) est vraiment superbe dans le rôle-titre, et l'autre baryton, Luca Pisaroni, qui incarne son comparse Leporello est un chanteur de grande classe doublé d'un acteur formidable. Marina Rebeka (Donna Anna) chante divinement. Et Mojca Eddmann (Zerlina) est fabuleuse de fraîcheur juvénile et de pureté vocale.

En symbiose avec la musique (dirigée par Fabio Luisi, qui succède à James Levine), il y avait le jeu, les déplacements, l'interaction entre les interprètes, et surtout la gestuelle et la mobilité expressive de leurs traits. Les critiques, assis dans la salle à bonne distance de la scène, n'ont pas pu observer en gros plan, comme nous au cinéma, les mouvements des yeux, les petits gestes, les mimiques des chanteurs, et en l'occurrence, c'est là que se jouait le drame. Le petit soupir de Don Ottavio (Ramon Vargas, excellent chanteur lui aussi) quand Donna Anna remet leur mariage à plus tard pour une énième fois, et le regard entendu qu'il jette vers l'assistance comme pour dire "il fallait bien s'y attendre": savoureux.

Les duels d'expressions et de regards entre Don Giovanni et Leporello: visages, visages. Micro-échanges visibles seulement au cinéma, en plans rapprochés. C'était magnifique.

Un merveilleux samedi après-midi. (En revanche, je ne suis pas allée voir Siegfried, la semaine suivante).